Les compagnons allaient se
rendre compte très vite que leurs premières appréciations du traité étaient une
erreur. Ils n’avaient pas mesuré la profonde spiritualité, l’extraordinaire
intelligence et le génie stratégique du
Prophète Muhammad (PSL).
Ce dernier était à l’écoute
des signes, et lorsque sa chamelle s’était arrêtée, puis refusa de bouger, il
avait compris et eut l’intuition que les musulmans n’iraient pas, cette année,
plus loin que la plaine d’al Hudaybiyya.
L’échec des quatre premières négociations et l’entêtement des Quraysh le persuadèrent qu’il devait s’armer
de patience. Il était profondément confiant. Il avait bien vu, en rêve, qu’il
entrait dans le sanctuaire, et cela ne manquerait pas d’arriver.
Le serment d’allégeance,
qui avait semblé d’abord unir les musulmans au Prophète Muhammad (PSL) contre l’ennemi, allait donc se transformer
en son exact contraire. Il s’agissait d’un serment de fidélité exigeant de
supporter dignement, spirituellement et intellectuellement, les conditions d’un pacte pour la paix.
De plus, lorsque Suhayl refusa les deux formules usuelles
des musulmans référant à l’Infiniment
Bon (ar-Rahmân) et au statut du Prophète
Muhammad (PSL) comme «Envoyé de Dieu».
il formulait une position d’une logique
stricte et implacable. Le Prophète (PSL) entendit son point de vue et son argument et eut la capacité,
à ce moment précis, de se mettre à la place de son interlocuteur. Ce que disait
Suhayl était, de là où ce dernier
observait les choses, parfaitement juste. Il était évident, en effet, que, si
les Quraysh avaient reconnu son
statut d’Envoyé de Dieu, ils ne l’auraient
point combattu. Il était par conséquent impossible qu’un accord d’égal à égal
stipule un élément qui, de fait, reconnaîtrait la vérité d’une des deux
parties. Les compagnons, dont le respect pour le Prophète (PSL) était si profond, n’avaient pu (à ce moment
précis) entendre la vérité de l’autre. L’attitude du Prophète (PSL), et son entrée en matière raisonnable quant aux
termes du pacte, étaient fortes d’un enseignement spirituel et intellectuel profond. En effet, il s’agissait de ne jamais laisser le
rapport du cœur à la vérité, la spiritualité profonde se transformer en un aveuglement
émotionnel et passionné. La raison devait toujours être convoquée pour analyser,
tempérer et aider à déterminer une relation d’écoute et de cohérence vis-à-vis
de la conviction et de la vérité de l’autre. Ce qui apparaissait comme un
compromis inacceptable du seul point de vue de la rationalité respective des
parties établissant le traité de paix.
Il n’était pas à l’ordre
du jour pour le Prophète Muhammad (PSL)
de sauver l’honneur et le prestige des musulmans voire même pour tirer profit
de la nouvelle situation après la victoire de la tranchée (Khandaq) ou de chercher à humilier les Quraysh.
Accepter
de ne point entrer cette année dans le sanctuaire et ainsi ménager leur susceptibilité
et protéger leur prestige, était au fond une des conditions, factuelles et
symboliques, de la paix à long terme. Celle-ci en considérant l’intérêt
général des deux camps, jouerait bientôt en faveur des musulmans. La clause de
renvoi des musulmans de Médine, ne
touchait que marginalement les intérêts des musulmans : un musulman fuyant
Médine n’était d’aucun intérêt pour
la communauté musulmane alors que la foi musulmane d’un Mecquois rendu à son clan ne devrait malgré la souffrance être
ébranlée à cause de cet exil imposé. Le
Prophète Muhammad (PSL) malgré les apparences n’avait rien concédé de
sérieux sur ce point.
La confiance en Dieu, mariée à une stricte cohérence intellectuelle et
à une vivacité d’esprit exceptionnelle, avait permis au Prophète (PSL) d’établir une trêve de dix ans, avec la perspective
d’une visite du sanctuaire une année plus tard.
La plupart des compagnons,
au premier rang desquels on trouve ‘Umar
ibn al-Khattâb, ne considéraient que les résultats immédiats, avec le
sentiment d’une humiliation. ‘Umar
comme bien d’autres, s’en était certes voulu d’avoir réagi aussi vivement
contre le Prophète (PSL) mais il
restait persuadé que le pacte était une capitulation.
Sur le chemin de retour,
on vint lui annoncer que le Prophète
Muhammad (PSL) le faisait appeler. Il eut peur qu’il s’agisse de le blâmer
pour son attitude intempestive ou, plus gravement, que des versets réprobateurs
aient été révélés le concernant. Il trouva le
Prophète (PSL) avec un visage rayonnant, et celui-ci lui annonça la
révélation de versets dont le contenu ne correspondait en rien à ce à quoi il
aurait pu s’attendre.
La parole divine annonçait :
«Nous t’avons en réalité donné une victoire éclatante. » (Sourate 48 verset 1)« Il savait ce qui était en leurs cœur et a fait descendre sur eux l’Esprit de Paix (as-sakina – la quiétude du cœur) et leur a donné la récompense d’une proche victoire. » (Sourate 48 verset 18)« Dieu a certes montré à son Envoyé la véracité de sa vision (de son rêve) : vous entrerez très certainement dans la Mosquée sacrée (le sanctuaire de la Ka’ba), si Dieu le veut, en toute sécurité, sans crainte, la tête rasée ou les cheveux coupés. Il sait néanmoins ce que vous ne savez point et avant cela, Il vous a donné une proche victoire ; » (Sourate 48 verset 27)
La perspective et les
évènements étaient présentés de façon totalement opposée à la perception qu’en
avaient les compagnons.
Le pacte d’allégeance pour
se préparer à la guerre était en réalité un pacte de fidélité pour la paix. Le semblant
de défait était présenté comme « une
victoire éclatante ». Ce qui avait été qu’un rêve apparemment avorté
cette année était annoncé comme une certitude de l’avenir :
« Vous entrerez très certainement dans la Mosquée sacrée. »
La très grande majorité
des musulmans n’avaient pas compris, pas vu, ni n’avaient pu percevoir ce que
le pacte fut donc, encore une fois un moment privilégié et exceptionnel de l’édification
spirituelle de la foi, avec de surcroît une exceptionnelle leçon d’intelligence
et de perspicacité.
L’écoute, l’art de
décentrer son point de vue, la sensibilité à la dignité de l’autre et la vision
de l’avenir étaient quelques-unes des qualités dont avait fait preuve le Prophète Muhammad (PSL) et qui
contribuaient à façonner son rôle de modèle.
Il était également un
exemple dans une autre dimension de sa vie. Lorsque que les compagnons
refusèrent de sacrifier les chameaux, il se rendit auprès de son épouse Um Salama, qui l’écouta et lui suggéra
la solution à son problème. Ce dialogue, cette complicité et cette écoute
expriment l’essence même de l’attitude du Prophète
Muhammad (PSL) vis-à-vis de ses épouses. Comme avec Khadîdja tant d’années auparavant, il n’hésitait jamais à prendre
le temps de se confier, de consulter, d’échanger et de faire sienne l’opinion
des femmes qui l’entouraient.
Au moment où, de visions
en pactes d’allégeance ou de paix, se jouait l’avenir de l’ensemble de la
communauté, il retourna au côté de sa femme et, comme un simple être humain,
lui exprima son besoin d’amour, de confiance et de conseil. Comme un simple
être humain, comme un exemple pour tous les êtres humains.
Yathrib786
Le 04 novembre 2018
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire