La
vie continuait à Médine. Malgré la complexité des relations et la vigilance
nécessaire, le Prophète Muhammad (PSL)
continuait à dispenser ses enseignements à la lumière des Révélations qui lui parvenaient. Il ne cessait d’être l’exemple
dont la particularité était l’équilibre entre une stricte fidélité à ses
principes et une constante chaleur humaine qui se dégageait de son contact et
de sa présence. Les compagnons en étaient si avides qu’ils se relayaient afin
de passer le plus de temps possible en sa compagnie de pouvoir l’écouter et
apprendre.
Les
compagnons aimaient le Prophète Muhammad
(PSL) d’un amour respectueux, profond et fidèle. Le Prophète (PSL) ne cessait de les inviter à approfondir cet
amour, à apprendre à l’aimer encore davantage et à l’aimer enfin à la lumière
supérieure de l’amour de Dieu.
Dans
son quotidien, alors qu’il était préoccupé par les attaques, les trahisons et
la soif de vengeance des ennemis, il restait attentif aux détails de la vie et
aux attentes de chacun, mêlant de façon permanente la rigueur et la générosité
de la fraternité et du pardon. Ses compagnons, comme ses épouses, le
regardaient prier durant de longues heures de la nuit, seul, loin des hommes,
isolé dans le murmure de ses prières et de ses invocations qui nourrissaient
son dialogue avec l’Unique.
‘Aïcha,
son épouse, en était impressionnée et étonnée :
« Ne t’imposes-tu pas trop [d’actes de dévotions] alors que Dieu t’a déjà pardonné tes fautes passées et futures ? Et le Prophète de répondre : Comment pourrais-je ne point être un serviteur reconnaissant [qui remercie] ? » (Hadith raporté par al-Bukhâri et Muslim)
Il
n’imposait point à ses compagnons ce qu’il s’imposait de pratiques, de jeûnes,
de méditations. Au contraire, il exigeait d’eux qu’ils allègent leur fardeau et
qu’ils évitent l’excès. A certains compagnons qui voulaient mettre un terme à
leur vie sexuelle, prier durant les nuits entières ou jeûner sans discontinuer
(comme ‘Uthmân ibn Maz’ûm ou ‘Abd Allah ibn ‘Amr ibn al-‘As), il
disait :
« N’en faites rien ! Mais jeûne certains jours et mange certains jours. Dors une partie de la nuit et veille une autre partie en accomplissant la prière. Car ton corps a sur toi des droits, tes yeux ont sur toi un droit, ta femme a sur toi un droit, ton hôte a sur toi un droit. » (Hadith rapporté par al-Bukhâri)
Il
s’exclama un jour et répéta trois fois :
« Malheur aux exagérateurs (rigoristes) !!! (Hadith rapporté par Muslim)
Et
en une autre circonstance :
« La modération, la modération ! Car c’est seulement par la modération que vous arriverez à bon port. » (Hadith rapporté par al-Bukhârî)
Il
n’avait de cesse d’apaiser la conscience des croyants qui avaient peur de leurs
faiblesses et de leurs manquements. Un jour, le compagnon Handhala al-Usaydî rencontra Abû
Bakr et lui confia être persuadé de sa profonde hypocrisie, tant il se
sentait traversé de sentiments contradictoires : dans la présence du Prophète (PSL), il n’était pas loin de
voir le paradis et l’enfer, mais lorsqu’il s’en éloignait, il était distrait
par sa femme, ses enfants et ses affaires. Abû
Bakr lui confia à son tour qu’il vivait les mêmes tensions. Ils allèrent
voir le Prophète (PSL) et le
questionner sur cet apparemment triste état de leur spiritualité. Handhala lui exposa la nature de ses
doutes, et le Prophète Muhammad (PSL)
lui répondit :
« Par celui qui détient mon âme entre Ses mains, si vous aviez le pouvoir de demeurer dans l’état [spirituel] où vous êtes en ma compagnie et dans le souvenir permanent de Dieu, les anges vous serreraient la main dans vos lits et sur les chemins. Mais il n’en est rien, Handhala, il est une heure pour cela [la dévotion, le souvenir] et une heure pour cela [le repos, la distraction]. » (Hadith rapporté par al-Bukhârî et Muslim
Il
n’y avait donc là aucune des dimensions de l’hypocrisie, mais simplement la
réalité de la nature humaine qui se souvient et oublie, qui a besoin de se
souvenir justement parce qu’elle oublie. Parce que les humains ne sont point
des anges.
En
d’autres circonstances, il les surprenait en affirmant que c’était au cœur même
de leurs besoins les plus humains, dans l’humble
reconnaissance de leur humanité, qui s’exprimait la sincérité d’une prière, d’une
aumône ou d’un acte d’adoration.
« La prescription du bien est une aumône, la proscription du mal est une aumône. Dans vos relations sexuelles avec vos épouses, il y a une aumône. »
Ses
compagnons surpris lui dirent :
« Ô Messager de Dieu, quand l’un de nous satisfait son désir sexuel en reçoit-il en plus une récompense ? »Le Prophète Muhammad (PSL) répondit :« Dites-moi, si l’un d’entre vous avait eu une relation illicite, n’aurait-il point commis un péché ? C’est pourquoi lorsqu’il y a une relation licité, il en reçoit la récompense. » (Hadith rapporté par Bukhârî)
Le Prophète
Muhammad (PSL)
invitait ses compagnons à ne jamais nier ou mépriser leur humanité. Ils étaient
des hommes et avec leurs qualité et leurs défauts. La spiritualité, c’est à la
fois accepter ses instincts et essayer de les canaliser : vivre ses désirs
naturels à la lumière de ses principes est une prière. Jamais une faute, encore
mois de l’hypocrisie.
Le Prophète
Muhammad (PSL)
détestait que les compagnons entretiennent un sentiment de culpabilité. Il leur
répétait de ne jamais cesser de dialoguer avec l’Unique, l’Infiniment bon,
le Miséricordieux qui accueille
chacun dans Sa grâce et Sa bonté. Le Seigneur aime la sincérité des cœurs.
C’est le sens profond du « at-Tawba ».
Quelles que soient les circonstances, le musulman doit revenir à Dieu. Dieu aime ce retour sincère auprès de lui. Le Prophète (PSL) en donnait l’exemple.
Un
bédouin vient un jour uriner dans la mosquée, et les compagnons se
précipitèrent sur lui et voulurent le battre. Le Prophète Muhammad (PSL) intervint et leur dit :
« Laissez-le en paix et verser simplement un seau d’eau sur son urine. Dieu ne vous a suscités que pour faciliter les obligations et non point pour les rendre difficiles. » (Hadith rapporté par al-Bukhâri)
Un
homme vint un jour trouver le Prophète
Muhammad (PSL) et lui dit :
« Je suis perdu !« Pourquoi donc ? Lui demanda le Prophète (PSL)« J’ai eu commerce avec ma femme pendant les heures de jeûne du Ramadân ! »« Fais donc l’aumône » Répondit le Prophète (PSL)« Je ne possède rien ! », puis il s’assit non loin du Prophète (PSL)Un homme vint apporter un peu de nourriture au Prophète (PSL)Le Prophète (PSL) appela l’homme perdu et lui : « Prends cette nourriture et va la donner en aumône ! »« A plus pauvre que moi ? Ma famille n’a rien à manger !« Alors mangez-là vous-mêmes « Répondit le Prophète (PSL) en souriant.(Hadith raporté par al-Bukhârî)
Cette
douceur et cette bonté étaient l’essence même de son enseignement et il
répétait :
« Dieu est doux (Rafîq) et il aime la douceur (ar-rifq) en toute chose »
En
ajoutant :
« Il donne pour la douceur ce qu’il ne donne pas pour la violence ou toute autre chose. » (Hadith rapporté par al-Bukhârî et Muslim)
Le
Prophète Muhammad (PSL) confia à l’un de ses compagnons :
« Il y a en toi deux qualités que Dieu aime : la clémence (al-hilm) et la longanimité (la grandeur d’âme), la tolérance (al-anâ) » Hadith rapporté par Muslim
Il
invitait tous les compagnons à ce constant effort de la douceur et du pardon.
« S’il te parvient de ton frère une chose que tu désapprouves, cherche-lui une à soixante –dix excuses. Si tu ne trouves pas, dis (persuade-toi) que c’est une excuse que tu ne connais pas. » (Hadith rapporté par Muslim)
Autour
de la mosquée, à proximité de la demeure du Prophète (PSL), s’étaient installés certains nouveaux convertis à l’Islam
qui n’avaient pas de toit et étaient souvent privés de nourriture. Démunis
(parfois volontairement, car certains désiraient vivre l’ascèse loin des biens
du monde), leur subsistance dépendait des aumônes et des dons des musulmans. Leur
nourriture ne cessait d’augmenter et ils furent bientôt appelés « ahl as-suffa » (les gens du
banc).
Le Prophète (PSL) était touché par
leur situation et manifestait une solidarité permanente à leur égard. Il les
écoutait, répondit à leurs questions et était attentif aux besoins de chacun. C’était une des particularités de sa
personnalité et de ses enseignements, avec ahl
as-suffa comme avec l’ensemble de sa communauté.
A
la même question sur la spiritualité, la foi, l’éducation ou le doute, il
apportait des réponses différentes et adaptées qui tenaient compte de la psychologie,
du vécu et de l’intelligence de celle ou de celui qui l’apostrophait.
Les
compagnons se sentaient vus, respectés, compris, aimés et en effet, le Prophète Muhammad (PSL) les aimait,
leur disait et leur conseillait, en sus, de ne jamais oublier de se confier
mutuellement leur amour :
«Quand
quelqu’un aime son frère (sa sœur), qu’il lui fasse part de son amour pour lui
(elle). »
Au
jeune Mu’adh Ibn Jabal, qu’il saisit un jour par la main, il murmura :
« Ô Mu’âdh, par Dieu, je t’aime. Et je te conseille, ô Mu’ädh, de ne pas oublier de dire à la suite de chaque prière rituelle : « Ô Dieu, aide-moi à me souvenir de Toi ? à Te remercier et à parfaire mon adoration à Ton égard. »
Yathrib 786
Le 29 avril 2018