24 juin 2018

Les Banû Nadîr : la conséquence de l'hypocrisie


La situation était désormais difficile les musulmans de Médine après la défaite de ‘Uhud. Cette dernière avait eu de multiples conséquences. Le prestige des musulmans était bien entamé. On savait les musulmans affaiblis et de nombreuses expéditions s’étaient organisées contre eux pour essayer de tirer profit de cet état de fait.

De son côté, le Prophète Muhammad (PSL), parfois prévenu des attaques qui se fomentaient contre Médine, envoyait des hommes  (par groupe de cent ou cinquante) vers différents tribus pour les neutraliser ou prévenir une agression.
La quatrième année de l’Hégire (626 de l’ère chrétienne) fut traversée par ces conflits locaux qui avaient néanmoins pour rôle de modifier (et parfois) de maintenir les alliances ou l’équilibre des forces dans la région. Il s’agissait d’une véritable partie d’échecs entre les Qurayshites et les musulmans de Médine. Les deux parties savaient qu’une confrontation majeure se préparait. Les Mecquois ne faisaient guère secret de leur désir d’éradiquer la communauté musulmane de la péninsule. C’est avec cet objectif qu’ils multipliaient les pactes avec les tribus avoisinantes.

La situation était d’autant plus difficile que les voies commerciales du nord, qui les menaient en Syrie ou en Iraq par le littoral, étaient toujours sous la surveillance et le contrôle de Médine. Dans l’esprit des Qurayshites, il fallait donc agir de façon rapide et radicale pour, à la fois, tirer profit de la fragilité des musulmans après la défaite de ‘Uhud et libérer les routes que devaient emprunter leurs caravanes se rendant au nord.

Nombreux furent les musulmans qui furent faits prisonniers, suppliés ou tués ces années durant. Tombés dans des embuscades ou simplement vaincus par le nombre de leurs ennemis, ils étaient souvent torturés et mis à mort de façon atroce. La tradition rapporte leur courage, leur patience et leur dignité devant leur mort. Le plus souvent, ils demandaient, à l’exemple de Khubayd ou de Zayd, à pouvoir faire deux cycles de prière avant leur exécution. Ils prolongeaient ainsi par des invocations adressées à Dieu, l’Unique, pour Lequel, ils avaient donné leurs biens et leur vie.

Un jour, un dénommé Abû Barâ, de la tribu des Banû ‘Amir, vint à la rencontre du Prophète Muhammad (PSL) et lui demanda d’envoyer avec lui une quarantaine de musulmans pour enseigner l’islam à l’ensemble de sa tribu. Le Prophète Muhammad (PSL) au fait des alliances locales, exprima sa crainte que ceux-ci ne fussent la cible des autres tribus qui étaient hostiles à l’islam et qui avaient établi des pactes avec les tribus Qurayshites. Il reçut l’assurance que ces hommes seraient protégés par les Banû ‘Amir, qui jouissaient d’un prestige sans faille et pouvaient de leur côté s’appuyer sur de nombreuses alliances. C’était néanmoins sans compter sur les rivalités du clan des Banû ‘Amir. Le propre neveu d’Abû Barâ’ fit mettre à mort l’éclaireur du convoi des musulmans (qui portait une lettre de la part du Prophète Muhammad (PSL). Puis lorsqu’il vit que son clan tenait à rester fidèle au pacte de protection offert par son oncle. Il mandata deux autres clans qui tuèrent l’ensemble des musulmans, vers Bi’r al-Ma’ûna, à l’exception de deux hommes qui purent en échapper parce qu’ils étaient allés chercher de l’eau (Ibn Hishâm, op. cit., vol. 4, p. 138)

L’un d’eux préféra mourir en combattant l’ennemi  et l’autre se rendit à Médine pour informer le Prophète (PSL)  du massacre de ses hommes. Sur sa route, il rencontra deux membres des Banû ‘Amir qu’il croyait responsables du guet-apens et les tua en guise de vengeance.

Le Prophète (PSL) fut choqué, inquiet et très attristé par les évènements. C’était le signe que la situation devenait de plus en plus dangereuse, et que les alliances comme les trahisons prenaient des contours compliqués et subtils. Les Banû ‘Amir avaient été fidèles aux engagements d’Abû Barâ’ et n’étaient donc pas responsables de la mort de ses hommes. Le Prophète Muhammad (PSL), scrupuleux quant au respect des termes de ses pactes, décida immédiatement qu’il fallait payer le prix du sang des deux hommes que ‘Amr avait tués en se trompant d’ennemi. Il décida de se rendre chez les juifs de Banû Nadîr afin de leur demander leur participation dans le paiement de cette dette de sang, puisque tels étaient les termes de leur pacte d’assistance mutuelle. Le Prophète Muhammad (PSL) savait que depuis  l’exil imposé aux Banû Qaynaqa’, les Banû Nadîr étaient suspicieux, voire hostiles, à son égard, et qu’ils avaient établi des liens avec des tribus opposées aux musulmans. Le Prophète Muhammad (PSL) demeurait donc très vigilant.

Il leur rendit visite avec les compagnons les plus proches dont Abû Bakr, ‘Umar et ‘Alî. Leur comportement était étrange et leurs chefs, parmi lesquels se trouvait Huyay, ne proposèrent rien de concret en matière de soutien au paiement de la dette du sang. Ils disparurent soudain sous le prétexte de préparer une réception et de récolter la somme voulue. Le Prophète (PSL) eut l’intuition que les chefs des Banû Nadîr tramaient quelque chose, se leva et s’en alla discrètement. Ne le voyant pas réapparaître, ses compagnons s’en allèrent à leur tour et le rejoignirent chez lui. Il leur fit part de ses doutes et leur confia que l’ange Gabriel l’avait informé que les Banû Nadîr désiraient l’éliminer. Ce que confirmaient leurs étranges comportements pendant que la délégation était présente.

Il fallait donc agir vite. Le Prophète Muhammad (PSL) dépêcha Muhammad ibn Maslama chez les Banû Nadir pour leur stipuler qu’ils avaient trahi le pacte d’assistance mutuelle, et qu’ils avaient dix jours pour quitter les lieux avec leurs femmes, leurs enfants et leurs biens, faute de quoi ils seraient passés par les armes. Les habitants de Banû Nadîr prirent peur et commencèrent les préparatifs jusqu’à ce que ‘Abd Allah ibn Ubayy, l’hypocrite, vienne leur rendre visite, leur conseille de ne point quitter la ville et les assure de son indéfectible soutien de l’intérieur. Les chefs de Banû Nadîr l’écoutèrent et firent savoir au Prophète Muhammad (PSL) qu’ils refusaient de partir. Il s’agissait dans les faits d’une déclaration de guerre.

Le Prophète (PSL) décida sur-le-champ de faire le siège de la forteresse où les Banû Nadîr s’étaient réfugiés. Ils furent d’abord surpris de la rapidité de l’expédition. Ils espéraient qu’Ibn Ubayy ou leurs propres alliés, notamment la tribu juive des Banû Qurayza, allaient venir à leurs secours. Il n’en fut rien. Au bout de dix jours, la situation était devenue complètement intenable pour eux. C’est à ce moment que le Prophète (PSL) décida de couper les plus grands palmiers, ceux qui étaient visibles de l’intérieur, par-delà la forteresse afin d’entamer davantage la confiance des Banû Nadîr. Ce fut la seule et unique fois que le Prophète Muhammad (PSL) allait s’en prendre aux arbres ou à la nature. Le fait était tellement exceptionnel que la Révélation mentionna expressément cette dérogation :


« Les quelques palmiers que vous avez coupés et ceux que vous avez épargnés le furent avec la permission de Dieu. » (Sourate 59 verset 5)


Jamais plus le Prophète Muhammad (PSL) ne manqua de respect à la Création, et il répétera maintes fois que ce respect doit être sans faille.

La stratégie allait s’avérer particulièrement efficace. Les Banû Nadîr, assiégés et sans ressources, imaginèrent que les musulmans s’en prenaient aux biens les plus précieux de leur cité, et qu’il ne leur resterait plus aucune richesse s’ils persévéraient dans leur résistance. Ils se rendirent donc en essayant de négocier les termes de leur exil. Le Prophète (PSL) leur avait proposé, avant le siège, de partir avec l’ensemble de leurs richesses, mais les Banû Nadîr avaient refusé. Ils étaient désormais en position de faiblesse.  Selon la menace du Prophète (PSL) ils devaient être exécutés. Il n’était plus question de leur laisser leurs biens et, passant outre à sa menace d’exécution, le Prophète Muhammad (PSL) exigea qu’ils quittent les lieux en n’emportant que leurs femmes et leurs enfants. Le chef des Banû Nadîr, Huyay, tenta néanmoins de négocier, et le Prophète (PSL) lui concéda qu’ils pouvaient désormais partir avec tout ce que leurs chameaux pouvaient porter de matériels et de biens (Ibn Hishâm, op. cit., vol. 4, p. 145)

Non seulement il ne mit pas sa menace à exécution  et leur laissa la vie sauve, mais il leur permit de s’en aller avec une quantité impressionnante de richesses. Le Prophète Muhammad (PSL) n’avait de cesse d’être généreux et clément après les batailles, malgré les trahisons et le manque de reconnaissance de ses ennemis. Il avait retrouvé certains captifs qu’il avait graciés après Badr parmi ses ennemis les plus farouches à Uhud. Cette fois encore, il allait retrouver certains chefs et autres membres de Banû Nadîr, partis se réfugier à Khaybar, parmi les Coalisés (Al-Ahzâb) qui allaient se liguer contre lui quelques mois plus tard.

Certes la situation des musulmans se stabilisait mais les dangers demeuraient importants et multiples.

A la suite de la bataille d’Uhud, Abû Sufyän avait donné rendez-vous au Prophète Muhammad (PSL) et à ‘Umar l’année suivante à Badr. Le Prophète Muhammad (PSL) avait relevé le défi. Il ne voulait pas manquer à sa parole et se rendit donc à Badr avec une armée de mille cinq cent hommes. Abû Sufyân, de son côté, se mit en marche avec deux mille combattants, mais s’arrêta en route avant de rebrousser chemin. Les musulmans restèrent huit jours sur place en attendant les Quraysh qui n’apparurent point. 

Le Prophète Muhammad (PSL) et les compagnons avaient tenu parole. Cette manifestation de fidélité à la promesse données, et de confiance face au défi, les rassurait en même qu’elle renforçait leur prestige.


Yathrib 786
Le 24 juin 2018

Aucun commentaire: