Le
Prophète Muhammad (PSL) restait vigilant quant à la sécurité
des musulmans de Médine. Il savait
que les Qurayshites préparaient leur revanche. Il reçut une missive de son
oncle ‘Abbas, qui lui annonçait qu’une
armée de plus de trois mille hommes dirigé
par ‘Abu Sufyân s’était mise en
route en direction de Médine. Ils arrivèrent
à proximité du mont Uhud au début du
mois de Shawwal de la troisième année de
l’Hégire.
Il restait une semaine au Prophète Muhammad (PSL) pour mettre au
point sa stratégie et organiser la
résistance.
Le
Prophète (PSL) organisa
une consultation pour prendre l’avis de ses compagnons sur la stratégie à
adopter, à savoir se défendre à l’intérieur de Médine ou bien sortir et aller à la rencontre de l’ennemi pour le
combattre. Le Prophète (PSL) était d’avis d’attendre l’arrivée
de l’armée Quraychite et d’assurer
la défense de la ville de l’intérieur, suivi en cela par ses compagnons les
plus âgés et les plus sages, et notamment le peu fiable ‘Abd Allah ibn Ubayy. Mais les plus jeunes parmi les musulmans,
plein de fougue et d'enthousiasme, qui étaient majoritaires, ainsi que ceux qui
n’avaient pu être présents à Badr,
souhaitaient aller à la rencontre de l’ennemi, pour être sûrs d’avoir le mérite
de combattre au côté du Prophète (PSL).
La majorité avait voté la
sortie de la ville et la confrontation en face à face.
Ce dernier alla donc
revêtir son armure et ordonna à son armée de se préparer au combat. Là,
certains jeunes compagnons comprirent que dans la précipitation, ils s'en
étaient remis à leurs sentiments négligeant ainsi leur raison et l'avis des
plus sages et des plus expérimentés d'entre eux. Certains éprouvèrent un regret
du fait qu’ils avaient contredit l’avis du Prophète
(PSL). Sentant leur hésitation, il leur dit qu’‘il ne convient pas à un
prophète d’enlever sa cuirasse après qu’il l’ait mise jusqu’à ce que Dieu décide de son différend
avec ses ennemis.
« (…)
Je vous avais fait ma proposition, mais vous avez tenu à sortir. Craignez donc
Dieu et endurez l’ardeur du combat, observez ce que Dieu vous a recommandé et
appliquez-le. »
Le
Prophète (PSL) nous confirme ici l’un des principes
fondamentaux de la concertation (Shoura),
qui est de ne jamais hésiter après avoir tranché sur un sujet, et de s’en
remettre à Allah une fois que l’on
s’est mis d’accord sur la décision à prendre. Aussi, il ne convient pas
lorsqu’il y a eu concertation et que les résultats ne sont pas forcément ceux
que l’on espérait, d’exprimer des regrets ou des reproches sous prétexte que
l’on avait émis un avis différent.
Le
Prophète Muhammad (PSL)
se mit donc en marche, avec un effectif d’environ mille combattants. Cependant, à mi-chemin entre Médine et Uhud,
‘Abd Allah ibn Ubayy, qui
avait soutenu l’avis de rester à Médine,
fit volte-face, en prétextant que l’on avait préféré suivre l’avis de jeunes
incompétents, pour faire demi-tour et se soustraire à l’armée, accompagné de trois cent hommes. Sa désertion était
grave et réduisait les forces des musulmans. A cet instant, le Prophète (PSL) ne pouvait plus changer de stratégie. Ainsi,
celui dont le Prophète (PSL)
connaissait l’hypocrisie, remit en cause une décision qu’il avait lui-même
finit par approuver et réussit un court instant l’un de ses objectifs qui était
de déstabiliser l’armée des musulmans en l’amputant d’un tiers de ses hommes.
Ceux qui restaient se disputèrent à leur sujet en essayant de les retenir, mais
Allah avait décidé que leur
hypocrisie serait dévoilée en ce jour, et ceci émanait de sa volonté, afin
qu’Il distingue les croyants des hypocrites.
« Et
tout ce que vous avez subi, le jour où les deux troupes se rencontrèrent, c’est
par permission et qu’Il distingue les hypocrites. On avait dit à ceux-ci:
«Venez combattre dans le sentier d’Allah, ou repoussez [l’ennemi»], ils dirent:
«Bien sûr que nous vous suivrions si nous étions sûrs qu’il y aurait une
guerre.» Ils étaient, ce jour-là, plus près de la mécréance que de la foi. Ils
disaient de leurs bouches ce qui n’était pas dans leurs cœurs. Et Allah sait
fort bien ce qu’ils cachaient. D’Allah, et afin qu’Il distingue les croyants. »
(Sourate al-Imrân (la
famille d’Imran), verset 166-167)
Les musulmans continuèrent
donc, bien qu’ils fussent désormais fortement diminués. En chemin, le Prophète (PSL) s’aperçut que six jeunes adolescents, ayant entre treize
et seize ans, s’étaient mêlés aux combattants. Il en renvoya immédiatement
quatre qui étaient trop jeunes et se laissa convaincre de garder deux jeunes de
quinze et seize ans, qui lui prouvèrent sur le champ de bataille qu’ils étaient
de meilleurs archers et combattants que biens des adultes. Le choix, dans ce
contexte particulier, était difficile, mais le Prophète (PSL) ne cessait d’exiger
que l’on protégeât les enfants des zones de combats, tant comme soldats que
comme potentielles victimes.
Il le réitéra avec force
lors de l’expédition de Tabûk et cet
enseignement quant à l’éthique de la guerre a toujours été sans compromis dans
son message.
A l’approche d’Uhud, il fallait trouver un itinéraire
discret qui permette au convoi de s’approcher du lieu du combat sans que ses
mouvements puissent être devinés ou découverts. C’est encore une fois à un
guide non musulman que le Prophète (PSL)
fit confiance. Ses compétences étaient reconnues. Et il répondit au Prophète Muhammad (PSL) qu’il mena avec
son armée, à bon port. Ils s’installèrent et le Prophète (PSL) expliqua sa stratégie de combat à ses troupes.
Les archers allaient
rester sur le flanc de la colline, alors que les chevaliers et les combattants
iraient directement affronter l’ennemi dans la plaine. Il ne fallait en aucune
façon que les archers bougent. Le Prophète
Muhammad (PSL) insista : en cas d’apparente victoire ou défaite des
troupes dans la plaine en aval, il était impératif que les archers demeurent à
leur poste et empêchent que les Quraysh
contournent la colline et attaquent les troupes par l’arrière. C’est d’ailleurs
ce que l’une des sections qurayshites
tenta de faire dès le début des hostilités, mais la pluie de flèches qui l’accueillit
la contraignit à revenir en arrière. La stratégie fonctionnait à merveille.
La bataille commença et
dans la plaine, les troupes musulmanes prenaient peu à peu l’ascendant. Les Quraysh reculaient, perdaient de
nombreux combattants, alors que les Emigrés
et les Ansâr manifestaient un
courage impressionnant. Parmi ces combattants, deux femmes se distinguaient par
leur énergie et leur vigueur : Um
Sylaym et surtout une ansarite du
nom de Nusayba bint Ka’b, qui était
d’ailleurs venue pour porter de l’eau et organiser le secours. Finalement, elle
n’hésita pas à s’engager sur le champ de bataille, à prendre une épée et à
combattre les Quraysh (source Ibn
Hishâm, op. cit, vol. ‘, p. 30)
Le
Prophète (PSL) n’avait jamais recommandé le combat aux
femmes, mais il était là en présence du fait accompli, et lorsqu’il vit la
fougue et l’énergie de Nusayba, il
salua son engagement et fit pour elle des invocations de protection.
Il devenait manifeste que
les musulmans l’emportaient, malgré des revers et la mort de certains
compagnons, Hamza l’oncle du Prophète (PSL). Ce dernier était l’objet
de la vengeance de Hind depuis la défaite
de Badr. Wahshî, un lanceur de
javelot abyssin, avait été mandaté
pour cette unique tâche, tuer Hamza. Alors que le Prophète (PSL) combattait, Wahshî
s’approcha de lui et lança avec une précision extrême son javelot qui atteignit
Hamza et le tua sur le coup. Plus tard
Hind trouvera le corps de Hamza sur le champ de bataille et,
après avoir mâché son foie, selon sa promesse déjà accomplie, elle le défigura
en lui coupant les oreilles et le nez pour s’en faire un collier.
La victoire ne semblait
néanmoins pas pouvoir échapper aux musulmans qui ne cessaient d’avancer alors que les Quraysh reculaient et
laissaient sur place leurs montures et
leurs biens. Les archers, postés sur le flanc de la colline, observaient la
tournure favorable des évènements, la victoire imminente, et surtout le butin qui
était à portée de mains des combattants qui, contrairement à eux, bataillaient
aux avant-postes. Ils en oublièrent les ordres du Prophète (PSL) et les rappels à l’ordre de leur chef ‘Abd Allah ibn Jubayr. Quelques archers
seulement restèrent sur place alors qu’une quarantaine dévalèrent la colline,
persuadés que la victoire était acquise et qu’ils avaient droit eux aussi à
leur part du butin.
Khâlid
Ibn al-Walîd, le chef d’une des trois sections des Qurayhs, observa ce mouvement des archers
et prit la décision immédiate de contourner la colline et de prendre les
troupes musulmanes à revers. Il y parvint et attaqua par l’arrière les
compagnons du Prophète (PSL). La débandade
fut générale et les combattants musulmans se dispersèrent dans un total
désordre. D’aucuns furent tués, d’autres fuirent, d’autres encore combattaient
en ne sachant plus vraiment où donner de la tête. Le Prophète (PSL) fut attaqué,
il tomba de sa monture, eut une dent cassée, et les anneaux de son casque s’enfoncèrent
dans sa joue maculée de sang. La rumeur se répandit que le Prophète (PSL) avait été tué. Ce qui
ajouta du chaos parmi les musulmans. Finalement, des compagnons le portèrent
sur sa monture, le protégèrent, et il put échapper à ses assaillants. Les musulmans
réussirent à s’extirper du champ de bataille. Il était de plus en plus
difficile d’y voir clair, et à se rassurer pour faire face à l’ennemi et à se
rassembler pour faire face à l’ennemi le cas échéant.
La bataille s’achevait et Khâlid ibn al-Walîd, en fin stratège,
était parvenu à renverser la tendance. Au terme des hostilités, les Quraysh ne comptaient que vingt-deux morts contre soixante-dix chez les musulmans.
La désobéissance des
archers avait eu des conséquences dramatiques. Attirés par la richesse et les
gains, les archers s’étaient laissés aller aux vieilles pratiques qui étaient
les leurs dans leur passé païen.
Nourris par le message de
la foi en l’Unique, de la justice et
de l’éloignement des biens de ce monde, ils avaient tout oublié à la vue des
richesses qui étaient à portée de main. Les victoires guerrières se mesuraient,
dans leur ancienne coutume arabe, à la quantité du butin acquis, et ce passé,
cette partie d’eux-mêmes et de leur culture, avaient pris le dessus sur leur
éducation spirituelle. Ils furent pris au piège de la stratégie d’un homme
redoutable, Khâlid ibn al-Walîd,
qui, quelques années plus tard, allait se convertir à l’Islam et devenir le
héros guerrier de la communauté musulmane. Ce moment très précis de la
rencontre d’Uhud est riche d’un
profond enseignement : jamais l’être humain ne dépasse complètement la
culture et les expériences qui ont façonné son passé ; jamais un jugement
définitif ne peut s’exprimer quant à l’avenir de ses choix et de ses
orientations. Les musulmans furent rattrapés par un trait malheureux de leurs
coutumes passées. Khalîd ibn al-Walîd
allait vivre une future conversion qui effaçait le moindre des jugements
énoncés sur son passé.
« Rien
n’est jamais acquis » est une leçon d’humilité ; « il ne faut
juger définitivement de rien » et une promesse d’espoir.
Les Quraysh emportèrent les corps de leurs morts et tous leurs biens. Abû Sufyân s’enquit auprès de ‘Umar au sujet du sort du Prophète Muhammad (PSL), et celui-ci lui confirma
qu’il était bien vivant.
Quand les musulmans
vinrent sur le champ de bataille, ils constatèrent que les corps avaient été
mutilés, et le Prophète (PSL) fut
terriblement atteint à la vue du corps de son oncle Hamza. Dans la colère, il exprima le souhait de se venger en
mutilant trente de leurs corps lors de la prochaine confrontation, mais la Révélation vint lui rappeler l’ordre,
la mesure et la patience :
« Si
vous endurez, ce sera mieux pour celui qui sera patient. » (Sourate 16
verset 126)
Le
Prophète (PSL) exigea que l’on respecte les corps des
vivants comme des morts, qu’aucune torture ni aucune mutilation ne soit jamais
acceptée ou promue, au nom du respect de la Création, de la dignité et de l’intégrité
de la personne humaine.
Yathrib 786
Le 27 mai 2018
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