27 mai 2018

La bataille d'Uhud


Le Prophète Muhammad (PSL) restait vigilant quant à la sécurité des musulmans de Médine. Il savait que les Qurayshites préparaient leur revanche. Il reçut une missive de son oncle ‘Abbas, qui lui annonçait qu’une armée de plus de trois mille hommes dirigé par ‘Abu Sufyân s’était mise en route en direction de Médine. Ils arrivèrent à proximité du mont Uhud au début du mois de Shawwal de la troisième année de l’Hégire.

Il restait une semaine au Prophète Muhammad (PSL) pour mettre au point sa stratégie et organiser la résistance.

Le Prophète (PSL) organisa une consultation pour prendre l’avis de ses compagnons sur la stratégie à adopter, à savoir se défendre à l’intérieur de Médine ou bien sortir et aller à la rencontre de l’ennemi pour le combattre. Le Prophète (PSL) était d’avis d’attendre l’arrivée de l’armée Quraychite et d’assurer la défense de la ville de l’intérieur, suivi en cela par ses compagnons les plus âgés et les plus sages, et notamment le peu fiable ‘Abd Allah ibn Ubayy. Mais les plus jeunes parmi les musulmans, plein de fougue et d'enthousiasme, qui étaient majoritaires, ainsi que ceux qui n’avaient pu être présents à Badr, souhaitaient aller à la rencontre de l’ennemi, pour être sûrs d’avoir le mérite de combattre au côté du Prophète (PSL).

La majorité avait voté la sortie de la ville et la confrontation en face à face.
Ce dernier alla donc revêtir son armure et ordonna à son armée de se préparer au combat. Là, certains jeunes compagnons comprirent que dans la précipitation, ils s'en étaient remis à leurs sentiments négligeant ainsi leur raison et l'avis des plus sages et des plus expérimentés d'entre eux. Certains éprouvèrent un regret du fait qu’ils avaient contredit l’avis du Prophète (PSL). Sentant leur hésitation, il leur dit qu’‘il ne convient pas à un prophète d’enlever sa cuirasse après qu’il l’ait mise  jusqu’à ce que Dieu décide de son différend avec ses ennemis.

« (…) Je vous avais fait ma proposition, mais vous avez tenu à sortir. Craignez donc Dieu et endurez l’ardeur du combat, observez ce que Dieu vous a recommandé et appliquez-le. » 

Le Prophète (PSL) nous confirme ici l’un des principes fondamentaux de la concertation (Shoura), qui est de ne jamais hésiter après avoir tranché sur un sujet, et de s’en remettre à Allah une fois que l’on s’est mis d’accord sur la décision à prendre. Aussi, il ne convient pas lorsqu’il y a eu concertation et que les résultats ne sont pas forcément ceux que l’on espérait, d’exprimer des regrets ou des reproches sous prétexte que l’on avait émis un avis différent.

Le Prophète Muhammad  (PSL) se mit donc en marche, avec un effectif d’environ mille combattants. Cependant, à mi-chemin entre Médine et Uhud,  ‘Abd Allah ibn Ubayy, qui avait soutenu l’avis de rester à Médine, fit volte-face, en prétextant que l’on avait préféré suivre l’avis de jeunes incompétents, pour faire demi-tour et se soustraire à l’armée, accompagné de trois cent hommes. Sa désertion était grave et réduisait les forces des musulmans. A cet instant, le Prophète (PSL)  ne pouvait plus changer de stratégie. Ainsi, celui dont le Prophète (PSL) connaissait l’hypocrisie, remit en cause une décision qu’il avait lui-même finit par approuver et réussit un court instant l’un de ses objectifs qui était de déstabiliser l’armée des musulmans en l’amputant d’un tiers de ses hommes. Ceux qui restaient se disputèrent à leur sujet en essayant de les retenir, mais Allah avait décidé que leur hypocrisie serait dévoilée en ce jour, et ceci émanait de sa volonté, afin qu’Il distingue les croyants des hypocrites.

« Et tout ce que vous avez subi, le jour où les deux troupes se rencontrèrent, c’est par permission et qu’Il distingue les hypocrites. On avait dit à ceux-ci: «Venez combattre dans le sentier d’Allah, ou repoussez [l’ennemi»], ils dirent: «Bien sûr que nous vous suivrions si nous étions sûrs qu’il y aurait une guerre.» Ils étaient, ce jour-là, plus près de la mécréance que de la foi. Ils disaient de leurs bouches ce qui n’était pas dans leurs cœurs. Et Allah sait fort bien ce qu’ils cachaient. D’Allah, et afin qu’Il distingue les croyants. » (Sourate al-Imrân (la famille d’Imran), verset 166-167) 

Les musulmans continuèrent donc, bien qu’ils fussent désormais fortement diminués. En chemin, le Prophète (PSL) s’aperçut que six jeunes adolescents, ayant entre treize et seize ans, s’étaient mêlés aux combattants. Il en renvoya immédiatement quatre qui étaient trop jeunes et se laissa convaincre de garder deux jeunes de quinze et seize ans, qui lui prouvèrent sur le champ de bataille qu’ils étaient de meilleurs archers et combattants que biens des adultes. Le choix, dans ce contexte particulier, était difficile, mais le Prophète (PSL) ne cessait d’exiger que l’on protégeât les enfants des zones de combats, tant comme soldats que comme potentielles victimes.

Il le réitéra avec force lors de l’expédition de Tabûk et cet enseignement quant à l’éthique de la guerre a toujours été sans compromis dans son message.

A l’approche d’Uhud, il fallait trouver un itinéraire discret qui permette au convoi de s’approcher du lieu du combat sans que ses mouvements puissent être devinés ou découverts. C’est encore une fois à un guide non musulman que le Prophète (PSL) fit confiance. Ses compétences étaient reconnues. Et il répondit au Prophète Muhammad (PSL) qu’il mena avec son armée, à bon port. Ils s’installèrent et le Prophète (PSL) expliqua sa stratégie de combat à ses troupes.

Les archers allaient rester sur le flanc de la colline, alors que les chevaliers et les combattants iraient directement affronter l’ennemi dans la plaine. Il ne fallait en aucune façon que les archers bougent. Le Prophète Muhammad (PSL) insista : en cas d’apparente victoire ou défaite des troupes dans la plaine en aval, il était impératif que les archers demeurent à leur poste et empêchent que les Quraysh contournent la colline et attaquent les troupes par l’arrière. C’est d’ailleurs ce que l’une des sections qurayshites tenta de faire dès le début des hostilités, mais la pluie de flèches qui l’accueillit la contraignit à revenir en arrière. La stratégie fonctionnait à merveille.

La bataille commença et dans la plaine, les troupes musulmanes prenaient peu à peu l’ascendant. Les Quraysh reculaient, perdaient de nombreux combattants, alors que les Emigrés et les Ansâr manifestaient un courage impressionnant. Parmi ces combattants, deux femmes se distinguaient par leur énergie et leur vigueur : Um Sylaym et surtout une ansarite du nom de Nusayba bint Ka’b, qui était d’ailleurs venue pour porter de l’eau et organiser le secours. Finalement, elle n’hésita pas à s’engager sur le champ de bataille, à prendre une épée et à combattre les Quraysh (source Ibn Hishâm, op. cit, vol. ‘, p. 30)

Le Prophète (PSL) n’avait jamais recommandé le combat aux femmes, mais il était là en présence du fait accompli, et lorsqu’il vit la fougue et l’énergie de Nusayba, il salua son engagement et fit pour elle des invocations de protection.
Il devenait manifeste que les musulmans l’emportaient, malgré des revers et la mort de certains compagnons, Hamza l’oncle du Prophète (PSL). Ce dernier était l’objet de la vengeance de Hind depuis la défaite de Badr. Wahshî, un lanceur de javelot abyssin, avait été mandaté pour cette unique tâche, tuer Hamza. Alors que le Prophète (PSL) combattait, Wahshî s’approcha de lui et lança avec une précision extrême son javelot qui atteignit Hamza et le tua sur le coup. Plus tard Hind trouvera le corps de Hamza sur le champ de bataille et, après avoir mâché son foie, selon sa promesse déjà accomplie, elle le défigura en lui coupant les oreilles et le nez pour s’en faire un collier.

La victoire ne semblait néanmoins pas pouvoir échapper aux musulmans qui ne cessaient d’avancer  alors que les Quraysh reculaient et laissaient sur place leurs montures  et leurs biens. Les archers, postés sur le flanc de la colline, observaient la tournure favorable des évènements, la victoire imminente, et surtout le butin qui était à portée de mains des combattants qui, contrairement à eux, bataillaient aux avant-postes. Ils en oublièrent les ordres du Prophète (PSL) et les rappels à l’ordre de leur chef ‘Abd Allah ibn Jubayr. Quelques archers seulement restèrent sur place alors qu’une quarantaine dévalèrent la colline, persuadés que la victoire était acquise et qu’ils avaient droit eux aussi à leur part du butin.

Khâlid Ibn al-Walîd, le chef d’une des trois sections des Qurayhs, observa ce mouvement des archers et prit la décision immédiate de contourner la colline et de prendre les troupes musulmanes à revers. Il y parvint et attaqua par l’arrière les compagnons du Prophète (PSL). La débandade fut générale et les combattants musulmans se dispersèrent dans un total désordre. D’aucuns furent tués, d’autres fuirent, d’autres encore combattaient en ne sachant plus vraiment où donner de la tête. Le Prophète (PSL)  fut attaqué, il tomba de sa monture, eut une dent cassée, et les anneaux de son casque s’enfoncèrent dans sa joue maculée de sang. La rumeur se répandit que le Prophète (PSL) avait été tué. Ce qui ajouta du chaos parmi les musulmans. Finalement, des compagnons le portèrent sur sa monture, le protégèrent, et il put échapper à ses assaillants. Les musulmans réussirent à s’extirper du champ de bataille. Il était de plus en plus difficile d’y voir clair, et à se rassurer pour faire face à l’ennemi et à se rassembler pour faire face à l’ennemi le cas échéant. 

La bataille s’achevait et Khâlid ibn al-Walîd, en fin stratège, était parvenu à renverser la tendance. Au terme des hostilités, les Quraysh ne comptaient que vingt-deux morts contre soixante-dix chez les musulmans.

La désobéissance des archers avait eu des conséquences dramatiques. Attirés par la richesse et les gains, les archers s’étaient laissés aller aux vieilles pratiques qui étaient les leurs dans leur passé païen.

Nourris par le message de la foi en l’Unique, de la justice et de l’éloignement des biens de ce monde, ils avaient tout oublié à la vue des richesses qui étaient à portée de main. Les victoires guerrières se mesuraient, dans leur ancienne coutume arabe, à la quantité du butin acquis, et ce passé, cette partie d’eux-mêmes et de leur culture, avaient pris le dessus sur leur éducation spirituelle. Ils furent pris au piège de la stratégie d’un homme redoutable, Khâlid ibn al-Walîd, qui, quelques années plus tard, allait se convertir à l’Islam et devenir le héros guerrier de la communauté musulmane. Ce moment très précis de la rencontre d’Uhud est riche d’un profond enseignement : jamais l’être humain ne dépasse complètement la culture et les expériences qui ont façonné son passé ; jamais un jugement définitif ne peut s’exprimer quant à l’avenir de ses choix et de ses orientations. Les musulmans furent rattrapés par un trait malheureux de leurs coutumes passées. Khalîd ibn al-Walîd allait vivre une future conversion qui effaçait le moindre des jugements énoncés sur son passé.
« Rien n’est jamais acquis » est une leçon d’humilité ; « il ne faut juger définitivement de rien » et une promesse d’espoir.

Les Quraysh emportèrent les corps de leurs morts et tous leurs biens. Abû Sufyân s’enquit auprès de ‘Umar au sujet du sort du Prophète  Muhammad (PSL), et celui-ci lui confirma qu’il était bien vivant.

Quand les musulmans vinrent sur le champ de bataille, ils constatèrent que les corps avaient été mutilés, et le Prophète (PSL) fut terriblement atteint à la vue du corps de son oncle Hamza. Dans la colère, il exprima le souhait de se venger en mutilant trente de leurs corps lors de la prochaine confrontation, mais la Révélation vint lui rappeler l’ordre, la mesure et la patience :

« Si vous endurez, ce sera mieux pour celui qui sera patient. » (Sourate 16 verset 126)

Le Prophète (PSL) exigea que l’on respecte les corps des vivants comme des morts, qu’aucune torture ni aucune mutilation ne soit jamais acceptée ou promue, au nom du respect de la Création, de la dignité et de l’intégrité de la personne humaine.

Yathrib 786
Le 27 mai 2018

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