Nous sommes en l’an
620, l’année qui suivit celle que les historiographes appellent «l’année de la tristesse» ou encore « l’année des deuils» après la mort de
son épouse Khadîdja et de son oncle Abou Tâlib. Le Prophète Muhammad (PSL) continuait à dispenser ses enseignements
dans un contexte de rejet, d’exclusion et de persécutions permanentes. Une
centaine de musulmans vivaient désormais en Abyssinie. Aucune solution ne se profilait pour les musulmans
restés à la Mecque.
Le Prophète Muhammad
(PSL), pour la fête des sacrifices, se rendit à la vallée de Minâ, non loin de la Mecque afin d’y rencontrer, comme à son
habitude, des pèlerins, pour leur délivrer son message. Les pèlerins, venus de
toutes les régions de la Péninsule, commencèrent à s’installer pendant toute la
durée des célébrations. Le prophète
Muhammad (PSL) s’adressait à quiconque voulait l’écoutait, évoquant la Révélation, récitant le Coran. Il
transmettait ainsi à des hommes, des femmes et des enfants qui, de leurs villes
lointaines, en avaient entendu parler mais n’en connaissaient le véritable
contenu.
Cette fois-ci sur le retour, il rencontra dans la bourgade d’Aqaba six hommes de la tribu de Khazradj,
originaires de Yathrib.
« Après qu’il leur eut déclaré qui il était, leurs visages reflètent un intérêt immédiat et ils l’écoutèrent attentivement. Chaque membre de la tribu était au courant de la menace souvent proférée par les juifs de leur ville : « un prophète sera envoyé prochainement. Nous le suivrons et nous vous exterminerons comme les antiques peuples de ‘AD et d’Iram furent massacrés ! » « Ibn Hishâm, op. cit., vol. 2 page 258
Lorsque le Prophète
Muhammad (PSL) eut fini de parler, ils se dirent entre eux :
« Il s’agit à coup sûr du Prophète dont les juifs nous ont annoncé la venue. Qu’ils ne soient donc pas les premiers à le reconnaître ! » Ibn Hishâm, op. cit., vol. 2 page 258
Puis, lui ayant posé des questions auxquelles il répondit
volontiers, chacun des six hommes attesta la véracité de son message et promit
de remplir les exigences de l’Islam.
« Nous avons quitté notre peuple, dirent-ils, car il n’y a pas de peuple aussi déchiré que lui par l’inimité et le mal ; il se peut que Dieu fasse son union par ton entremise. Nous allons maintenant revenir auprès des nôtres et les convaincre d’accepter ta religion comme nous venons de l’accepter ; et si Dieu les rassemble autour de toi, aucun homme ne sera plus puissant que toi. » Ibn Hishâm, op. cit., vol. 2 page 258
De fait, les grandes tribus de Yathrib, les Aws et Khazradj, en situation de lutte endémique,
comme on l’a vu, recherchaient un arbitrage extérieur, capable de maintenir en
équilibre leur manière de vivre (modus
vivendi). Cet équilibre est devenu très aléatoire face notamment aux trois
tribus juives qui jouaient de ces contradictions pour mieux asseoir leur
autorité.
A la Mecque, les
conversions ne cessaient d’augmenter, et le
Prophète Muhammad (PSL) continuait son engagement public. Sur le plan
privé, beaucoup lui conseillait de se remarier. Il fit deux songes : dans
lesquels la très jeune ‘Aïsha, la
fille d’Abû Bakr, alors âgée de six
ans, lui était offerte en mariage. Khawlah
qui s’était occupée du Prophète Muhammad
(PSL) depuis la mort de Khadidja,
lui proposa deux noms : Sawdah,
une veuve d’une trentaine d’année qui était revenue d’Abyssinie, et ‘Aïsha, la
fille d’Abû Bakr.
Le Prophète Muhammad (PSL) y voyant une
curieuse coïncidence et la véracité de ses songes, demanda à Khawlah de faire le nécessaire
L’union avec Sawdad
fut particulièrement aisée à concrétiser. Sawdad
répondit immédiatement. Et très favorablement. Ils se marièrent quelques
mois plus tard. ‘Aïsha selon les
coutumes arabes, avait déjà été promise par Abû Bakr au fils de Mut’im.
Abû bakr dut négocier avec ce
dernier le renoncement à cette promesse. Ce qu’il accepta. ‘Aîsha devient officiellement la seconde
épouse du Prophète (PSL). Le mariage
allait être consommé quelques années plus tard.
L’année suivante, une seconde rencontre eut lieu, à la même
époque et au même endroit. Du côté des musulmans, Abu-Bakr et Ali accompagnaient le
Prophète Muhammad (PSL). La députation médinoise était composée cette fois
de douze membres, représentants les Aws et les Khazradj. L’ensemble des
Médinois fit immédiatement profession de foi et prêta le serment traditionnel
de fidélité (la ba’ya) au Prophète Muhammad (PSL). Ce fut la
première allégeance (la Ba’ya al-oula),
dite aussi Bay’at an-Nissa (la Baya
des femmes) selon les traditionnistes (du fait que le serment prêté ne mettait
pas encore à la charge des Médinois l’obligation de défendre l’Apôtre par les
armes).
La troisième rencontre sera décisive. Elle interviendra peu
après et aura lieu également à Aqaba.
La délégation médinoise comprenait soixante-quinze
membres (tous des Khazradj mais
les Aws se rallieront sans
difficulté à l’accord intervenu).
Le Prophète Muhammad
(PSL) arrive au rendez-vous avec Abu-Bakr
et Ali auxquels était adjoint son oncle ‘Abbas (le nouveau du clan après la mort d’Abu Taleb). C’est en cette qualité que celui-ci assume la
représentation musulmane alors même qu’il
est loin de s’être rallié aux idées et aux convictions du Prophète Muhammad (PSL).
Les pourparlers commencent dans le plus pur style tribal. ‘Abbas s’inquiété de savoir si les khazradj pourraient envisager un jour
de livrer le Prophète Muhammad (PSL)
à ses ennemis :
« Mieux vaut en ce cas, leur dit-il, le laisser là où il est en sécurité, au sein de son clan (achira). »
Le Prophète Muhammad
(PSL) prend alors la parole pour réciter les fragments du Coran et il finit en demandant aux Khazradj «d’entrer dans l’Islam». Le
résultat fut immédiat. Ils font le serment de défendre l’Envoyé de Dieu (PSL) de toutes leurs capacités :
« Par celui qui t’a envoyé proclamer la vérité, nous te défendrons aussi vigoureusement que nous défendrons nos familles » Ibn Ma’arouri membre de la délégation de Médine
« O Envoyé d’Allah, entre nous et les autres des liens existent, que pourtant nous brisons. Si Allah te donne la victoire, reviendras-tu à ton peuple en nous abandonnant. » Abou At-Haïtham, un autre membre du groupe
« Vous êtes des miens et je suis des vôtres ; je serai l’ami de votre ami et l’ennemi de votre ennemi… » Répondit aussi le Prophète Muhammad (PSL)
Ils lui demandèrent alors d’étendre les mains, et ils lui
donnèrent la ba’ya.
L’alliance ainsi nouée va entrainer des conséquences
incalculables. Elle sera déterminante dans la formation de la Umma islamique (Communauté islamique, à
laquelle elle imprimera dès le départ son lien d’indissociabilité organique
avec la religion qui en constituera la raison d’être. C’est à partir de là que
l’Islam prendra son puissant essor. Toutefois les motivations politiques sont présentes
dans la négociation. La première est la remise du pouvoir par les Aws et les
Khzradj (hier encore ennemis) des rênes du pouvoir au Prophète Muhammad (PSL).
Des lignes de clivage se dessinent qui vont marquer les
premières années de la prise de pouvoir
muhammadienne : l’hostilité conjuguée des Mecquois et des autres
tribus qui vont faire front commun contre la bourgade devenue le fief du Prophète Muhammad (PSL) avec les
guerres, les alliances et les violences qui vont suivre.
Ce pacte qui assurait un refuge, une protection et un
engagement des musulmans de Yathrib
aux côtés de leurs frères mecquois, ouvrait au Prophète Muhammad (PSL) les horizons d’un avenir prometteur. L’organisation
politique de la société médinoise germe de la future Umma (communauté). Le Prophète
Muhammad (PSL) encouragea désormais les musulmans à émigrer discrètement à Yathrib, alors que ses compagnons les
plus proches demeuraient encore autour de lui.
Yathrib 786
27 novembre 2017
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