01 octobre 2017

Enjeux, Questions et Oublis



L’opposition au Prophète Muhammad (PSL) n’était pas simplement une opposition à un homme ou à un message. Tous les 123 999 prophètes avant lui, avaient reçus ce même accueil de la part d’un pan entier de leur propre communauté et de leur propre famille. 950 ans durant, le Prophète Noé n’aura réussi à convaincre un seul membre de sa communauté malgré les promesses. La bonté divine le sauvera.
C’est bien que le contenu du message qu’ils apportaient (les prophètes parmi lesquels les 313 rasûls), était, en fait, une radicale révolution quant à l’ordre des choses et des sociétés.
Le Coran rappelle les propos qu’ont eu à essuyer les Messagers, époque après époque, lors de la transmission de leur message respectif.

Refus au changement
La première réaction est le plus souvent un refus de changement mêlé à la crainte de perdre le pouvoir. Le peuple de Pharaon lançait à Moïse et Aaron :


« Es-tu venu pour nous détourner du culte que pratiquaient nos ancêtres, et  pour que tous deux vous accapariez le pouvoir dans ce pays ? Nous ne croyons pas en vous ! » Coran sourate 10 Yûnus, verset 78


Cette relation à la mémoire, aux ancêtres, aux habitudes est un élément fondamental pour comprendre la réaction des peuples en face des transformations qu’apportent une nouvelle croyance ou une nouvelle présence dans le contexte social. La réponse est toujours épidermique et passionnée. Ce qui est en jeu touche bien à l’identité et les fondements de la société en question.
Tous les peuples qui ont accueilli des prophètes ont d’abord pensé, comme ce fut le cas pour le Prophète Muhammad (PSL), que ceux-ci cherchaient que le pouvoir et le prestige. Dans l’ordre de l’humain, on ne bouleverse pas les habitudes et, ce faisant un ordre social, sans avoir des visées politiques. C’est ce qui explique le doute et la surdité des chefs devant le message dont le contenu en lui-même est totalement décalé par rapport à ces perspectives.
Une révolution dans les mentalités
En appelant à la reconnaissance du Dieu Unique, au rejet des idoles, à la vie après la mort, à l’éthique et à la justice, le Prophète Muhammad (PSL) mettait en branle une véritable révolution dans les mentalités autant que dans la société. L’évidence était que le renversement des perspectives contenu dans son message orienté vers l’Au-delà ébranlait les fondements du pouvoir ici-bas.
La reconnaissance de l’Unicité et la conscience de l’Éternité associées à l’enseignement de l’éthique apparaissaient aux nouveaux croyants comme des éléments de leur libération spirituelle, intellectuelle et sociale. L’intuition des chefs de Quraysh était juste et fondé.


« Dis : Dieu, lui est Un ; Dieu, celui qui se suffit à lui-même ; Il n’engendre pas et n’est pas engendré ; Nul n’est pareil à Lui. » Coran Sourate 112


Cette sourate marque bien une frontière. Lorsque les chefs Qurayshites proposèrent une sorte de syncrétisme entre la religion polythéiste des ancêtres et le monothéisme apporté par le Prophète Muhammad (PSL) la réponse de la Révélation fut ferme :


« Dis : Ô vous les négateurs [au cœur voilé] ! je n’adore pas ce que vous adorez ; et vous n’adorez pas ce que j’adore ! Je ne suis pas un adorateur de ce que vous adorez et vous n’êtes pas des adorateurs de ce que j’adore. A vous votre religion, à moi la mienne ! » Coran sourate 109


Questions et Oublies
Les Qurayshites étaient désemparés et ne savaient comment s’y prendre pour circonscrire la diffusion du message du Prophète Muhammad (PSL) Ils envoyèrent une délégation à Yathrib afin de s’enquérir auprès des dignitaires juifs de la nature et de la véracité de cette nouvelle Révélation. Les juifs de Yathrib étaient connus pour professer ce culte au Dieu Unique. Et le Prophète Muhammad (PSL) faisait souvent allusion au Prophète Moïse (Salut sur lui). Ils étaient les plus à même d’exposer un avis ou, mieux, d’élaborer une stratégie.
Consultés par les Qurayshites sur le nouveau Prophète Muhammad (PSL), les rabbins proposèrent aux envoyés de la Mecque de lui poser trois questions clefs afin de savoir si ce qu’il disait relevait de la Révélation ou de l’imposture.

La première question était relative à la connaissance d’une histoire relatant l’exil des jeunes gens loin de leur peuple.
La seconde question à celle d’un grand voyageur qui atteignit les confins de l’univers.
Et la dernière était une interpellation directe à définir ar-Rûh (l’âme).
La délégation repartie consciente qu’elle avait là les moyens de piéger le Prophète Muhammad (PSL). De retour à la Mecque, ils allèrent le trouver et lui posèrent les trois questions. Celui-ci répondit presque instantanément : 
 

« je répondrai à vos questions demain. » Ibn Hishâm, op. cit., vol. 2, p.140


Or, le lendemain, l’Ange Gabriel n’apparut pas. Point de Révélation. Ni le surlendemain, ni  les quatorze jours qui suivirent. Les qurayshites jubilaient ? Sûrs d’avoir enfin prouvé la duplicité de ce soi-disant Prophète, incapable de répondre aux questions des rabbins.
Le Prophète Muhammad (PSL) était triste et chaque jour davantage. Il craignait d’être abandonné. Sans doute de dieu. Il revivait l’expérience du « doute quant à soi », amplifiée par les railleries de ses opposants.
Deux semaines plus tard, il reçut une Révélation et une explication :


"Ne dis jamais, à propos d’une chose : " certes, je ferai cela demain ", sans ajouter : « si Dieu le veut. » (Inshâ’ Allah). Invoque ton Seigneur Rabb- Educateur. Si tu oublies, et dis : "Plaise à mon Seigneur [Rabb-Educateur] de me guider vers le chemin de la rectitude. " Coran sourate La Caverne 18, verset 23-24 


Cette Révélation était une fois encore un reproche et un enseignement. Elle rappelait au Prophète Muhammad (PSL) que son statut, son savoir et son destin étaient dépendants de son Rabb- Educateur, du Dieu Unique. Il ne devait point l’oublier.
Ainsi faut-il comprendre le sens de la formule « Inshâ’ Allah (si Dieu le veut).» Elle exprime la conscience des limites, le sens de l’humiliation de celui qui agit mais qui sait qu’au-delà de qu’il peut dire ou faire. Dieu seul a le pouvoir de faire en sorte que les choses adviennent. Il ne s’agit point d’un message fataliste : il n’est pas question de ne pas agir mais, au contraire, de ne jamais cesser d’agir tout en en maintenant en sa conscience et en son cœur les réelles limites du pouvoir humain. Le Prophète Muhammad (PSL), pour la deuxième fois dans la Révélation, était rappelé à l’ordre par le Transcendant (quelle que soit l’intensité de l’adversité des hommes, la force et la liberté sur la terre demeurent dans la conscience permanente de ta dépendance vis-à-vis du Créateur.
Ce n’est qu’ensuite que le Prophète Muhammad (PSL) recevra la réponse aux trois questions posées. L’attente, le silence, son incapacité à répondre puis l’exposé tardif des révélations prouvaient que le Prophète Muhammad (PSL) n’était point l’auteur du Livre et qu’il était bien dépendant de la volonté de son Rabb.

La réponse à la première question d’ar-rûh (lâme)  renvoyait à l’exigence d’humanité à laquelle il avait été appelé précédemment c’est-à-dire au savoir supérieur de l’Unique :


Ils t’interrogent au sujet de l’âme (ar-rûh). Dis : l’âme relève de l’ordre [de la connaissance] exclusif de mon Seigneur [Rabb-Educateur] et, en fait de science, vous n’avez reçu que bien peu de choses. » Coran sourate 17 verset 85


Quant aux deux histoires (celle des sept Dormants d’Ephèse et celle du voyageur Dhû al-Qarnayn (Alexandre Le -Grand)], elles sont relatées dans la même sourate 18, la Caverne.
Elles fourmillent de données et de précisions auxquelles les Qurayshites et les rabbins de Yathrib ne s’attendaient pas. Et dont le Prophète (PSL) avant la Révélation n’avait aucune connaissance.
Dans la même sourate, on trouve l’histoire de Moïse qui, dans un moment d’oubli et de négligence, voit laissé échapper l’idée que, compte tenu de son statut de Prophète « il savait ». Dieu va alors le mettre à l’épreuve du plus savant que lui, le personnage d’al-Khidr :
(Rappelle-toi) quand Moïse dit à son valet: «Je n’arrêterai pas avant d’avoir atteint le confluent des deux mers, dussé-je marcher de longues années».


"Puis, lorsque tous deux eurent atteint le confluent, Ils oublièrent leur poisson qui prit alors librement son chemin dans la mer.
Puis, lorsque tous deux eurent dépassé [cet endroit,] il dit à son valet: «Apporte-nous notre déjeuner: nous avons rencontré de la fatigue dans notre présent voyage».

 [Le valet lui] dit: «Quand nous avons pris refuge près du rocher, vois-tu, j’ai oublié le poisson - le Diable seul m’a fait oublier de (te) le rappeler - et il a curieusement pris son chemin dans la mer».
[Moïse] dit: «Voilà ce que nous cherchions». Puis, ils retournèrent sur leurs pas, suivant leurs traces.
Ils trouvèrent l’un de Nos serviteurs à qui Nous avions donné une grâce, de Notre part, et à qui Nous avions enseigné une science émanant de Nous.
Moïse lui dit: «Puis-je te suivre, à la condition que tu m’apprennes de ce qu’on t’a appris concernant une bonne direction?»
L’autre] dit: «Vraiment, tu ne pourras jamais être patient avec moi.
Comment endurerais-tu sur des choses que tu n’embrasses pas par ta connaissance?»
[Moïse] lui dit: «Si Allah veut, tu me trouveras patient; et je ne désobéirai à aucun de tes ordres».
«Si tu me suis, dit [l’autre,] ne m’interroge sur rien tant que je ne t’en aurai pas fait mention».
Alors les deux partirent. Et après qu’ils furent montés sur un bateau, l’homme y fit une brèche. [Moïse] lui dit: «Est-ce pour noyer ses occupants que tu l’as ébréché? Tu as commis, certes, une chose monstrueuse!»
[L’autre] répondit: «N’ai-je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie?»
«Ne t’en prends pas à moi, dit [Moïse,] pour un oubli de ma part; et ne m’impose pas de grande difficulté dans mon affaire»(.
Puis ils partirent tous deux; et quand ils eurent rencontré un enfant, [l’homme] le tua. Alors [Moïse] lui dit: «As-tu tué un être innocent, qui n’a tué personne? Tu as commis certes, une chose affreuse!» [L’autre] lui dit: «Ne t’ai-je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie?»
«Si, après cela, je t’interroge sur quoi que ce soit, dit [Moïse], alors ne m’accompagne plus. Tu seras alors excusé de te séparer de moi».
Ils partirent donc tous deux; et quand ils furent arrivés à un village habité, ils demandèrent à manger à ses habitants; mais ceux-ci refusèrent de leur donner l’hospitalité. Ensuite, ils y trouvèrent un mur sur le point de s’écrouler. L’homme le redressa. Alors [Moïse] lui dit: «Si tu voulais, tu aurais bien pu réclamer pour cela un salaire».
«Ceci [marque] la séparation entre toi et moi, dit [l’homme,] Je vais t’apprendre l’interprétation de ce que tu n’as pu supporter avec patience.
Pour ce qui est du bateau, il appartenait à des pauvres gens qui travaillaient en mer. Je voulais donc le rendre défectueux, car il y avait derrière eux un roi qui saisissait de force tout bateau.
Quant au garçon, ses père et mère étaient des croyants; nous avons craint qu’il ne leur imposât la rébellion et la mécréance.
Nous avons donc voulu que leur Seigneur leur accordât en échange un autre plus pur et plus affectueux.
Et quant au mur, il appartenait à deux garçons orphelins de la ville, et il y avait dessous un trésor à eux; et leur père était un homme vertueux. Ton Seigneur a donc voulu que tous deux atteignent leur maturité et qu’ils extraient, [eux-mêmes] leur trésor, par une miséricorde de ton Seigneur. Je ne l’ai d’ailleurs pas fait de mon propre chef. Voilà l’interprétation de ce que tu n’as pas pu endurer avec patience». Coran sourate 18, verset 60-82


Al-Khidr l’initie ainsi à la compréhension supérieure du Seigneur, à la patience et à la sagesse à savoir rester humble et ne point poser des questions.
De l’expérience de Moïse qui a été impatient et de celle du Prophète Muhammad (PSL) qui a oublié sa dépendance, en passant par l’enseignement destiné à tous les êtres humains, tout rappelle aux musulmans la conscience de leur fragilité et de leur besoin de Dieu. Plus tard, le Prophète Muhammad (PSL) recommandera de lire cette sourate entièrement tous les vendredis. Pour se rappeler, semaine après semaine, qu’il ne faut pas oublier, s’oublier, L’oublier.

Yathrib786
Le 1e octobre 2017

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